Uyuni, petite ville poussiéreuse du département de Potosi, en Bolivie. A peine 10'500 habitants et pourtant des avenues immenses, renforçant le sentiment de vacuité que donne ce bled qui vit aujourd’hui essentiellement de tourisme. Les seules autres économies que l'on trouve ici sont la culture de la quinoa et l'élevage de lamas. Mais ces activités souffrent du manque d'eau de la région.
Heureusement, des voyageurs viennent des quatre coins du globe pour voir le désert de sel de Uyuni, el salar comme on dit ici. Un ancien lac salé, aujourd'hui desséché, qui s'étend sur 10'000 kilomètres carrés à 3'700 mètres d'altitude, des paysages surréalistes ponctués d'auberges faites de sel et quelques travailleurs passant leurs journées à déplacer des tas de cette poudre abondante pour un salaire misérable. Sans l'hôtellerie et le tourisme, Uyuni ne survivrait pas.
Le trésor du Salar
Mais depuis quelques mois, d’autres travailleurs ont pris leurs quartiers au milieu du salar. Ce sont les employés de la Coopération Minière de Bolivie (COMIBOL), une puissante entreprise étatique. Celle-ci a le monopole de l’exploitation du lithium, un métal alcalin hyper léger dont la Bolivie est le pays à détenir les plus grandes réserves au monde dans les couches souterraines de son fameux désert de sel (entre 9 et 100 millions de tonnes, selon les estimations, soit entre 30% et 70% des réserves mondiales).
Dernièrement, le cours du lithium a explosé sur le marché mondial : entre 2003 et 2008, le prix de la tonne est passé de 350 à 3'000 dollars. En cause, son utilisation indispensable dans la production de batteries rechargeables pour les téléphones mobiles, smartphones, baladeurs numériques, montres et ordinateurs portables – des produits voués à une production croissante. Tout comme les batteries lithium-ion pour voitures électriques, dont on prédit l’avènement de la consommation de masse pour ces prochaines années. Une alternative au moteur à explosion qui affranchirait le monde de sa dépendance au pétrole, et qui le rendrait surtout plus propre. Les producteurs de voitures électriques s’y intéressant depuis trois ans, l’extraction du métal en Chili, en Argentine, aux USA, en Chine et en Australie a elle aussi augmenté, faisant récemment passer le cours du lithium à 7'000 dollars la tonne.
Dernièrement, le cours du lithium a explosé sur le marché mondial : entre 2003 et 2008, le prix de la tonne est passé de 350 à 3'000 dollars. En cause, son utilisation indispensable dans la production de batteries rechargeables pour les téléphones mobiles, smartphones, baladeurs numériques, montres et ordinateurs portables – des produits voués à une production croissante. Tout comme les batteries lithium-ion pour voitures électriques, dont on prédit l’avènement de la consommation de masse pour ces prochaines années. Une alternative au moteur à explosion qui affranchirait le monde de sa dépendance au pétrole, et qui le rendrait surtout plus propre. Les producteurs de voitures électriques s’y intéressant depuis trois ans, l’extraction du métal en Chili, en Argentine, aux USA, en Chine et en Australie a elle aussi augmenté, faisant récemment passer le cours du lithium à 7'000 dollars la tonne.
Pour la Bolivie, pays le plus pauvre d’Amérique du Sud, vivant une révolution politique et sociale depuis l’accession au pouvoir en 2006 d'Evo Morales, premier président indigène, les attentes suscitées par l’exploitation du lithium sont énormes. Le trésor énergétique caché sous le Salar de Uyuni n’est pourtant pas simple à extraire. Dans un premier temps, il faut le séparer d’autres composants également présents dans les saumures du désert. Par chance, l’un d’eux se trouve être du potassium. Comme le voisin brésilien, entre autres, en est friand pour produire des engrais pour l’agriculture, le plan d’exploitation gouvernemental a prévu une production parallèle de carbonate de lithium et de chlorure de potassium. Dès 2013, les ventes de ces deux ressources pourraient, selon les dires du gouvernement, rapporter 374 millions de dollars annuels.
Retard indéniable
Mais les critiques à l’égard du plan d’exploitation de la COMIBOL prolifèrent déjà. Premièrement, parce que le retard bolivien est indéniable. Sur le Chili d'abord, qui abrite les deuxièmes plus grandes réserves de lithium dans son salar d'Atacama et qui les exploite depuis 1997, via la Sociedad Quimica y Minera de Chile (SQM), privatisée dans les années 1980. Aujourd'hui, SQM et le géant allemand Chemetall sortent à eux deux entre 30'000 et 40'000 tonnes de carbonate de lithium par an de l'Atacama sur un total de 100'000 tonnes produites mondialement. Et l’Argentine a, elle aussi, vendu des concessions à FMC, un autre titan de l’industrie du lithium, dans son salar del Hombre Muerto en 1995 déjà.
Un modèle économique libéral que les autorités boliviennes se vantent de tenir à l’écart, elles qui pour rien au monde ne voudraient voir le « pillage de Potosí » se répéter, cinq siècles après la découverte de mines d’argent, de zinc et d’étain par les colons espagnols. Car bien que le pays fût le plus grand producteur d’argent à l’époque où ce métal servait d’étalon en finances internationales, sa manne ne l’a jamais aidé à sortir de la misère économique et sociale.
Luis Alberto Echazu est directeur de la Gérance Nationale pour les Ressources Evaporites (GNRE), l’organe de la COMIBOL en charge de l’exploitation du lithium. Tout comme le président Evo Morales, il répète à chaque interview : « La Bolivie cherche des partenaires, et non des patrons ! ». Les conditions qu’impose la GNRE aux pays et groupes étrangers voulant signer des contrats d’exploitation sont les suivantes : souveraineté de l’Etat sur ses ressources, participation majoritaire de la Bolivie sur l’entrepreneuriat, industrialisation des produits dérivés du carbonate de lithium sur sol bolivien, et transfert de technologie vers les ingénieurs boliviens.
Luis Alberto Echazu est directeur de la Gérance Nationale pour les Ressources Evaporites (GNRE), l’organe de la COMIBOL en charge de l’exploitation du lithium. Tout comme le président Evo Morales, il répète à chaque interview : « La Bolivie cherche des partenaires, et non des patrons ! ». Les conditions qu’impose la GNRE aux pays et groupes étrangers voulant signer des contrats d’exploitation sont les suivantes : souveraineté de l’Etat sur ses ressources, participation majoritaire de la Bolivie sur l’entrepreneuriat, industrialisation des produits dérivés du carbonate de lithium sur sol bolivien, et transfert de technologie vers les ingénieurs boliviens.
Ces exigences se sont heurtées à la bonne volonté de certains clients potentiels, dont l’exemple le plus criant est la sortie des négociations du groupe Bolloré. En 2008, les spéculations allaient bon train sur l’imminente collaboration entre l’entreprise française qui préparait la sortie de sa Bluecar et l’Etat bolivien qui lui fournirait le lithium nécessaire à ses batteries. Mais deux ans plus tard, aucun contrat n’a été signé et Bolloré s’en est allé voir ailleurs, en Argentine et au Chili. Le Japon, la Corée du Sud et la Chine sont toujours en négociations.
La Bolivie n'exclut pas, et aimerait bien d'ailleurs, avoir plusieurs partenaires stratégiques. Mais le choix de ces alliés par le gouvernement se fait attendre car il "cherche à obtenir le meilleur accord possible pour le bénéfice de la population". Le Brésil, par l’intermédiaire du géant minier Vale do Rio Doce, ne cache pas son intérêt pour le chlorure de potassium qui lui servirait à produire des engrais pour l'agriculture. L’Iran, un autre candidat déclaré, s'intéresse lui au lithium parce qu'il est essentiel au procédé de fusion nucléaire. Son président Mahmoud Ahmadinejad aimerait partager la technologie de cette alternative à la fission - alternative bien plus propre, mais encore loin d'être au point - avec son camarade Evo Morales.
Or, il serait malvenu de ne pas prendre en compte le favoritisme que pratique le gouvernement bolivien envers les pays dits "non impérialistes". Il n’est pas complètement insensé de penser que le non-aboutissement des négociations françaises soit dû, en partie, à son appartenance au bloc occidental, étant donné que "Bolloré s'était soumis à toutes les conditions, en ajoutant même la protection des populations locales et de l'environnement", assure l'ambassadeur français à La Paz Antoine Grassin.
Un projet critiqué
Juan Carlos Zuleta est docteur en économie et s'intéresse au lithium depuis 1992. |
Résultat, la Bolivie, quand elle aura enfin commencé sa production industrielle à l’horizon 2014, ne pourra produire que 10% de la demande mondiale, bien que ses réserves lui permettraient d’être le premier producteur mondial. Et quand bien même elle parvenait à se hisser en tête des producteurs mondiaux, il n'est pas certain que la technologie de la mobilité verte du XXIe siècle sera effectivement basée sur le lithium, et non sur d’autres alternatives comme le nickel métallique ou le zinc-air.
Le journaliste Humberto Vacaflor (à dr.), ici en débat avec Luis Alberto Echazu à La Paz. |
La GNRE est-elle entrain de faire fausse route ? Sera-t-elle sauvée par un potentiel transfert de technologie japonaise ou sud-coréenne ? Quoiqu’il en soit, elle est décriée par les leaders des mouvements sociaux qui ne voient pas d’un bon œil sa centralisation à La Paz plutôt que dans la ville de Potosí ou encore à Uyuni même. La nouvelle constitution bolivienne, approuvée par référendum à 61,4% en 2009 grâce à une large coalition socialiste au parlement, prévoit notamment la libre gestion des ressources naturelles par les populations locales. Une disposition à laquelle déroge le salar de Uyuni, devenu "réserve fiscale nationale" en 1974 déjà.
Milton Lérida se bat pour le développement de sa région. |
Un autre problème jaillit de cette constitution qui protège activement l’environnement. L’exploitation du salar créera inéluctablement une atteinte à la préservation du paysage. Des études sur le sujet s'appuyant notamment sur l'expérience chilienne tirent la sonnette d'alarme: menace pour la faune, risque de contamination de l’air, de l’eau et de la terre... Plus largement, la COMIBOL souffrirait depuis sa création de sérieuses carences dans sa capacité ou sa volonté à évaluer les risques environnementaux avant de commencer un projet. Au final, Evo Morales se retrouve pris au piège, entre le discours populiste et écologiste qui l'a amené au pouvoir et les exigences pragmatiques d'un accès rapide au marché du lithium.
Le discours et la réalité
S’il est toutefois un point sur lequel tous les critiques s’accordent, c’est sur le flou qui plane autour de l’homme qui dirige le Comité scientifique de la GNRE. Guillaume Roelants du Vivier est un Belge arrivé en Bolivie il y a près de trente ans comme coopérant pour une ONG. Depuis, il est devenu un redoutable homme d’affaires dont la connivence avec divers gouvernements successifs l’a amené à un haut degré d’influence dans le pays. Pourtant, avant de devenir la tête pensante du projet d’exploitation du lithium, Roelants s’est fait une réputation de crapule en touchant au trafic de stupéfiants dans le cadre des affaires qu’il menait dans sa société nommée Tierra S.A. Condamné à une peine de prison à laquelle il a échappé par le hasard bienvenu d’un changement de procédure dans la loi, "le Belge" comme l’appellent ses détracteurs, est bien vite retombé sur ses pattes. On dit en outre qu’il serait le privé à détenir le plus de concessions dans différents déserts de sel boliviens, malgré tout le ramdam que fait le gouvernement Morales autour de la souveraineté étatique sur les ressources évaporites.
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Guillaume Roelants du Vivier (capture d'écran CNN) |
Le débat politique n’a plus beaucoup de place dans un organe législatif composé à plus de deux tiers de députés du MAS (Movimiento al socialismo), le parti présidentiel. Pire, la liberté d’expression a été récemment mise à mal par une nouvelle loi à l'encontre de la presse tandis que des proches du gouvernement ont racheté nombre de journaux ces dernières années. Par conséquent, la haute teneur en idéologie des discours officiels inspire plus souvent de la méfiance que de la confiance.
Le Cerro Rico à Potosí, la "Montagne riche" dont l'abondance de minéraux n'a jamais bénéficié à la population locale. |