Regard de l auteure

Un mouvement idéologique qui se cherche, une nouvelle élite au pouvoir, une manne d'énergie prometteuse, une économie minière dépourvue d'expérience industrielle, un projet de développement contesté aussi bien par les milieux scientifiques et économiques que par la société civile, un climat politique et médiatique sous pression, une culture démocratique faible face à la corruption et aux appétits de pouvoir, sans oublier l'incertitude qui plane toujours sur les prochains développements de l'industrie automobile électrique... le thème de l'exploitation du lithium en Bolivie embrasse de nombreuses problématiques.

A l'heure actuelle, peu de gens sont au courant de l'occasion de développement fabuleuse à laquelle fait face la Bolivie. Pour cause, un marché du lithium très fermé, encore peu développé et une ressource qui n'est pour le moment sollicitée qu'en moindres quantités par l'industrie. L'heure actuelle n'en représente pas moins un moment charnière, non seulement à l'échelle de la Bolivie avec des perspectives de développement économique, mais aussi et surtout à l'échelle globale avec une possible redistribution de la balance du pouvoir. Le pays peut encore aujourd'hui prendre le bon comme le mauvais embranchement du chemin de l'exploitation de son or gris.

Le gouvernement Morales donne l'impression d'avoir fait son choix: le développement interne semble préoccuper fort peu La Paz qui préfère se faire courtiser par de potentiels partenaires et soigner ses alliances, forte de son imminente possible reconversion en "Arabie Saoudite" du XXIe siècle. Alors au lieu d'inclure les universités locales dans la recherche scientifique et technique autour de l'exploitation du lithium, le pouvoir en place se renferme sur lui-même pour élaborer ses plans, seul. 

Le discours électoraliste d'Evo Morales a pourtant toujours été centré sur l'émancipation de la population, et le premier président indigène a d'ailleurs réussi à faire entrer les classes économiques et sociales inférieures au parlement et au gouvernement. Toutefois, alors que l'heure se prête également à une émancipation économique de la relève scientifique, aucun effort n'est visible au niveau gouvernemental pour intégrer les chercheurs boliviens dans les projets de développement interne.

La conséquence directe de cette politique de fermeture ? L'élaboration d'un mauvais plan d'exploitation. Avec une formule d'extraction obsolète et une idéologie économique hyper-étatique qui défavorise l'image du pays pour les investisseurs étrangers. De plus, le rôle de l'Etat n'est pas d'être un fournisseur de matières premières, un acteur économique à part entière. Sa fonction lui incombe d'injecter du capital pour faire démarrer ou soutenir l'industrie, de redistribuer les richesses par un système fiscal juste, mais pas d'être le propriétaire d'une série d'entreprises qui détiennent toutes le monopole dans leur secteur.

Par ailleurs, le manque de transparence au sein de l'Etat, l'infiltration du parti présidentiel dans les mouvements sociaux, la manière de nommer les fonctionnaires gouvernementaux et l'édiction de loi liberticides pour la presse font douter de la capacité du régime bolivien à pouvoir véritablement devenir une démocratie après les nombreux revers politiques qu'elle a subis depuis sa déclaration d'indépendance.

A supposer que l'or gris devienne réellement la ressource énergétique du XXIe siècle, que le projet gouvernemental d’exploitation du lithium permette au pays de se faire une place de choix sur le marché et de s'enrichir à long-terme avec des partenariats bien menés, et que les piscines d'évaporations s'avèrent tout de même capables de soutenir le rythme accru de la demande, il demeure peu plausible que le peuple bolivien en soit le bénéficiaire.

En effet, la malédiction de l'abondance semble avoir encore frappé, aiguisant les appétits de pouvoir des puissants. La Bolivie d'en bas, universitaires et citoyens, restera dépendante de ce qu'elle n'a pas semé les vivres fournies par l'Etat tant que celui-ci ne se décidera pas, dans une vision à long terme, à développer sa culture économique, en commençant par soutenir l'éducation et la formation. Armée de savoir faire et de culture démocratique, la Bolivie aura enfin le bagage pour devenir un jour, peut-être, un grand Etat au service de sa population.


Des enfants de l'orphelinat de l'association suisse Voix Libres (Voces Libres) à Potosí.